Chronique d’un train raté
Chronique d’un train raté et d’un smartphone à plat. Délaissée par la lumière bleue de l’écran qui rend heureux, la tête redressée se sent lésée… malaise et embarras de se retrouver ici-bas, sans égard, le regard égaré, confronté par mégarde à l’épaisseur crue d’un réel qui est à reconsidérer...
Vague panorama d’un quai de gare balayé par le froid.
Appréhension par étape, la rétine se dilate, capte les bribes d’une gare de transit. Balayage gauche-droite d’un regard hagard à la focale étroite. D’abord le reflet glacial d’un complexe de poubelles compliquées, bien astiquées, design. Puis une femme trop belle pour être réelle, en 2D, dénudée, vend des portes jarretelles. Elle irradie le quai de sa lumière blême, miroitement blafard de l’écran LED qui l’a fait naître, à jamais figée, dans son sourire crispé… une plastique de rêve pour un rictus qui fait flipper. Puis émergeant lentement de l’obscurité, une foule clairsemée de silhouettes se dessine, encagoulées, impassibles comme prostrées…
Triste panorama d’un quai de gare balayé par le froid…
Triste panorama d’un quai de gare balayé par le froid.
Insidieusement, le regard s’adapte, perception plus précise des êtres qui peuplent cette gare. Dans la pénombre leurs yeux luisent d’une étrange lueur. Leurs mains sont jointes comme pour une prière, les dix doigts recroquevillés sur une chose qu’ils vénèrent. Une lumière étrange suinte entre leurs phalanges, pâle éclairage jeté sur leur visage spectral. Archanges fatals, golems démoniaques ou zombies en standby juste avant la traque ? Présences insoutenables qui incitent à la fuite, leurs traits inexpressifs accentuent leur maléfice. Qu’attendent-ils en ce lieu et sont-ils hostiles ? Leurs yeux rivés sur un ailleurs ils demeurent immobiles, absents… cadavres vivants prisonniers du néant…
Sinistre panorama d’un quai de gare balayé par le froid…
Sinistre panorama d’un quai de gare balayé par… l’effroi.
Le cauchemar se concrétise de minute en minute… les zombies affluent, se multiplient, s’impatientent… l’espace sur le quai se réduit inexorablement, quand soudainement, dans un terrible bruit, c’est l’apocalypse ! Cri d’agonie d’une gigantesque masse de ferraille qui trépasse sur le rail… stress… poussée d’adrénaline face à la déferlante infernale de revenants qui s’agglutinent, s’amassent, se pressent vers la carcasse de métal… agoraphobie au milieu des zombies qui investissent la place de leurs présences létales. Tandis qu’un regard insistant se détache de la foule, te fixe de ses yeux hallucinés de goule, et t’adresse d’une voix gutturale un Hé t’as pas cinq balles ?!
Paranoïa d’un quai de gare balayé par le froid…
Mec, ça va pas ? Tu bad-tripes ?
Paranoïa d’un quai de gare balayé par… l’effroi
Hé ! qu’est-ce t’as pris comme merde ? tu fais flipper, atterris mec… non mec, t’es pas tout seul, mais arrête de faire cette gueule comme si tu allais te pendre… viens mec, tu fais honte à voir, foutons le camp de cette gare, allez viens mec, viens… viens !